Métro-bar #30 : Laurier

En ce petit lundi soir du mois de novembre, nous pigeâmes au hasard la station de métro Laurier dans le but de s’y rendre et de trouver un endroit, dans les environs, où aller écouter le match de hockey. Située dans un quartier résidentiel et relativement très près du secteur du métro Mont-Royal, les possibilités nous apparaissent dès le départ plutôt limitées.

On pense spontanément au Dieu du ciel, mais puisque nous souhaitons découvrir de nouveaux endroits, nous marchons un peu, à partir de la sortie St-Joseph de la station. Vers l’ouest, nous changeons notre trajectoire pour le nord, une fois rendus sur le boulevard Saint-Laurent. Nous gardons le Dieu du ciel en tête, comme plan B, mais nous allons voir plus au nord, jusqu’aux limites de notre territoire à explorer (avant de tomber dans le territoire de la station Rosemont).

En plein cœur du Mile-End, nous débattons sur la faune traditionnelle du secteur, les hipsters, en nous demandant principalement «c’est quoi leur maudit problème». Nous tombons finalement face à face avec le bar Chez Serge. Raton m’explique qu’il s’agirait d’une taverne ironique. Bref, d’un endroit pour hipsters qui souhaitent écouter le hockey dans une ambiance traditionnelle, mais sans s’abaisser à l’odieux de se rendre dans une authentique taverne.

L’endroit nous répugne d’emblée, mais nous sommes en Mission. Donc nous entrons. Première incongruité, le doorman (wtf?) nous demande si nous avons une réservation (re-wtf?). Même si nous n’avons pas eu la décence de nous annoncer au préalable, on nous laisse entrer, en nous pointant spécifiquement quelle table nous avons le droit d’occuper. Il faut toutefois passer au vestiaire et payer 3$ avant de prendre place. (w-t-f??!)

Le bar Chez Serge est une insulte au peuple. On tente d’y recréer les caractéristiques d’une taverne (tabourets, bar, hockey, déco ringarde, bière, pop corn), mais on y dénature l’âme en remplaçant toute la noblesse de ce type d’institution par l’artifice, le superficiel, le m’as-tu-vu et l’individualisme des bars sélects où l’on va pour se faire voir, plutôt que s’y plaire vraiment.

Attablés environ 30 minutes avant le début du match, nous encaissons cette expérience troublante. Raton est amusé face à mon incrédulité. La serveuse, dont l’âge traduit le peu d’expérience, se permet de se plaindre du froid (nous sommes en novembre), à peine voilée d’une mini-jupe et d’une camisole (nous sommes en novembre). On se commande chacun un verre de bière à 4$, dont la taille correspond finalement à ce qu’on appellerait un verre de dégustation dans les établissements qui respectent la bière.

On s’abreuve du liquide fade et trop clair, dans lequel on finit même par trouver quelques petits morceaux de glace. Ah tiens, ça doit être celle-là, «la bière la plus froide». Comme dans la pub. Inconcevable.

On vide nos verres (par terre, si on avait pu), on reprend nos manteaux au vestiaire, avant même le début de la game (en faisant face à l’incompréhension totale du staff) et on quitte. Dans les quelque 20 minutes où nous avons été là, l’endroit s’est rempli à vue d’œil. Un endroit où être vu, les soirs de game. «Un des endroits les plus in en ville pour voir les matchs du Canadien», selon Ronald King. Tant mieux pour lui.

Nous fuyons donc vers le Dieu du ciel. À peine arrivés, nous nous rendons compte… il ne diffusent pas la game ici! Ah ben ouais, on a oublié ce détail. On quitte aussitôt et on emprunte la rue Laurier vers l’est. En marchant en plein cœur du Plateau Mont-Royal, on ne peut s’empêcher de discuter d’enjeux politiques locaux (nouveaux sens uniques des rues, tarifs des parcomètres, coupe de cheveux de Luc Ferrandez, etc.). Peu après être passés devant la mairie de l’arrondissement, on arrive devant la Brasserie Laurier. Une vraie taverne.

Nous y entrons et nous nous y sentons aussitôt chez nous. Un mélange réussi (parce qu’authentique) de mobilier des années 70 et de décoration des années 90, un barman vrai et sympathique, une ambiance salon, une grande télé, des compatriotes tout à fait citoyens. Nous nous délectons de bière en fût à l’état liquide (enfin) et des deux premières périodes du match opposant le Canadien aux inadéquats Flyers.

Sachant qu’il reste un secteur à explorer pour cette 30e édition de notre Mission, nous quittons la Brasserie Laurier après deux périodes, en étant toutefois réconciliés avec la vie. Une vraie taverne, ça existe encore.

Nous n’aurions pu dire mieux car nous nous retrouvons, pour la troisième période, au Bar La Remise, au coin des grandioses rues Boucher et Resther, à deux minutes de l’édicule nord de la station Laurier. Sans rien enlever à la Brasserie Laurier, le Bar La Remise, malgré son allure un peu inquiétante vu de l’extérieur, a toutefois un charme certain.

On y est accueilli par une des barmaid les plus sympathiques qu’il m’ait été donné l’occasion de connaître dans ma carrière d’ivrogne. Rayonnant par son sourire, son expérience, sa compétence, son leadership et sa sociabilité, elle se bat avec les nombreuses télécommandes de l’endroit afin d’ajuster le son du hockey, pour tenir compte de notre présence. Du service attentionné.

On prend place et plus on observe, plus l’endroit révèle ses mystères. Sur les murs, des affiches de tous genres se côtoient : La Bolduc, Frank Zappa, Charlie Chaplin, Michel Chartrand, Che Guevara, René Lévesque, les Beatles, etc.

La faune est toute aussi riche et diversifiée. Quelques post-hipsters (concept imaginé spontanément) sont attablés près de la fenêtre. Dans la section loteries vidéo, un homme tente de gagner de l’argent tout en tenant entre ses lèvres une pipe en bois… sans rien fumer. Plus près de nous, deux adolescents boivent chacun une petite Budweiser, en jouant au billard. Charmant. On a tous commencé à quelque part.

Un autre individu me rappelle Fardoche et un dernier louche cache discrètement sur lui une bouteille de Frank’s Red Hot Sauce, avec laquelle il pimente sa bière… en prenant bien soin d’observer autour de lui que personne ne le voit faire.

Le temps passe, le Canadien s’effondre en troisième et la Mission tire à sa fin. Mais ce soir, au métro Laurier, nous avons réaffirmé la place des tavernes (les vraies!) dans notre société. Longue vie! Et santé!

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